Wildcards - Contrefacons [Ep.2] - Partie 2 (texte)

Musique rock à fond, Zoé préparait son sac quand son IR l’informa qu’Azylis était à la porte. La punk arrêta de chercher où caser les chargeurs de son Kruger et alla lui ouvrir.

- Hey little bird, l’accueillit-elle avant de retourner à son sac. Entre, fais comme chez toi.
- On… on va pas au cantina bar pour faire le point ? s’étonna Azylis depuis le pas de la porte.
- Nan, expliqua Zoé en finissant de bourrer son sac. J’ai promis à Warren de rester avec lui quand il aura terminé ses cours virtuels… Bon, tu rentres ?
- Ah… euh, oui bien sûr, acquiesça Azylis visiblement gênée.

Cette dernière entra en regardant partout autour d’elle, on aurait dit un vrai petit oiseau tombé du nid…

- Alors ? demanda la punk. T’as réussi à nous choper une navette ?
- Ouais, bien sûr que j’ai trouvé, c’était facile, fit Azylis en bombant le torse.

Malgré son apparente assurance, Zoé sentait une certaine fébrilité chez la jeune spectre. Elle était clairement tendue… Probablement l’appréhension due au manque d’expérience…

- Hey little bird, fit la punk d’un ton rassurant. Stresse pas, ça va bien se passer. On va assurer un max toutes les deux.

Zoé donna une tape amicale sur l’épaule d’Azylis qui sembla se détendre un peu, puis se dirigea vers la cuisine sans plus de formalité.

- Tu veux boire un truc ? demanda-elle, la tête à moitié plongée dans le frigo.
- Euh… non, merci.
- Comme tu veux, fit la punk en revenant se laisser tomber dans le canapé avec une naav dans la main. Bon, de mon côté je me suis arrangée pour Warren.
- Ty a bien voulu le garder quelques jours ? s’étonna Azylis.
- Il sait pas dire non, expliqua Zoé avec un sourire espiègle. Et Gaëlle m’a filé un contact : un type qui bosse au contrôle spatial à Bayreel. Il pourra nous prévenir quand le vaisseau des contrebandiers se pointera.
- Ah, cool ! s’enthousiasma Azylis. Reste plus qu’à mettre au point un plan avec tout ça alors.
- Lenny avait parlé de leur coller un mouchard, exposa la punk. C’est un début…
- Ca, je peux le faire ! affirma Azylis.
- Ouais, mais faut prévoir tout ce qu’il y a autour, tempéra Zoé. On va pas se pointer et improviser… Faut, je sais pas moi, imaginer un plan tordu à la Lenny… Par exemple on pourrait, euh…

Sauvée par l’arrivée soudaine de son frère, Zoé n’eut pas besoin de finir sa phrase. Warren avait visiblement terminé ses cours par correspondance et venait d’ouvrir d’un coup la porte de sa chambre.

- J’ai fini ! s’exclama-t-il tout sourire avant de remarquer la présence d’Azylis. Eh ! C’est qui, elle ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?!
- Az, je te présente mon petit frère… déclara Zoé.
- Eh ! C’est toi qu’a renversé le réservoir de mon fusil sur ma tête, accusa Warren, je te reconnais !
- Ouais, bah fallait pas m’arroser en premier, se défendit Azylis.
- Putain Warren, s’agaça Zoé, qu’est-ce que t’as encore foutu ? Je t’avais dit de pas jouer avec dans la station !
- Zoééé… implora-t-il en changeant de sujet, t’avais promis de passer du temps avec moi avant de partir en mission !
- Bon, soupira la punk en se tournant vers Azylis. On voit quand il sera couché pour le plan ?
- Euh OK… fit la jeune spectre avant de s’éloigner en direction de la porte.
- Hey little bird ! la rappela Zoé.
- Oui ? fit-elle en se retournant.
- Tu veux pas rester avec nous ?
- Pfff, laisse tomber, râla Warren. Je suis sûr qu’elle est nulle à Zenta Kart en plus.
- Ah oui ? s’indigna Azylis en faisant demi-tour d’un pas déterminé. Tu vas voir ce que je vais te mettre ! Comment on joue ?





Le crépuscule commençait à tomber au-dessus de Sinova Valley. Dans quelques heures, il serait suivit d’une nuit qui durerait trois jours standards, accompagnée d’une baisse notable du thermomètre. Ako n’était pas équipée pour le froid, mais d’ici à ce que la température devienne négative, elle aurait largement le temps de regagner la chaleur relative des dômes d’Eridania City. En attendant, si l’on mettait de côté l’atmosphère toxique de cette planète en cours de terraformation, il faisait presque bon d’être à l’air libre.

Masque filtrant pendu à son cou, elle fonçait sur les routes poussiéreuses de la région à bord d’un X-Road Alpha, un véhicule d’exploration tout-terrain que l’on croisait couramment en dehors des dômes. Devant elle, s’étendait le paysage accidenté de Sinova Valley, recouvert d’une terre grise semblable à de la cendre et parsemé de touffes d’herbe et d’arbustes jaunâtres balayés par le vent. Dans quelques décennies, quand la terraformation serait plus avancée, il y aurait peut-être une forêt ici. Mais pour le moment, si l’on exceptait des convois automatisés roulant à pleine vitesse sur l’immense autoroute vide, l’endroit restait un no man’s land sans intérêt aux yeux d’Ako.

Après plusieurs heures de route, elle quitta la voie rapide pour emprunter un chemin de terre vaguement balisé. Le X-Road de la Daeyaméenne s’enfonça dans le vaste désert gris de Sinova Valley durant un bon quart d’heure avant d’atteindre un lac où stagnait une étonnante eau bleue turquoise. Un peu plus loin, un vieux centre de traitement, une grande ferme hydroponique et, enfin, un petit village de colons constitué de modules préfabriqués usés par le temps.

Ako se gara près d’une sorte d’entrepôt, mit son masque filtrant sur le nez et descendit de son véhicule. La température était douce et le vent agréable. Si seulement l’air était respirable plus de cinq minutes sans danger…

Shikata ga nai : on ne peut rien y changer… songea la ghostrunneuse avant d’observer les alentours plus en détail.

Plusieurs hommes d’origine daeyaméenne étaient occupés à charger des caisses dans un imposant 6x6, tandis que des gamins jouaient un peu plus loin à des jeux de tirs en Réalité Augmentée. Tous portaient évidement des respirateurs mais ça ne les empêchaient pas de profiter de l’air libre avec insouciance. Ako les enviait presque. Elle avait décidément passé trop de temps sous les dômes… Elle se mit en marche vers le module préfabriqué, entra et se retrouva à l’intérieur d’un temple neo-bouddhiste de fortune où flottait des volutes d’encens.

Une famille, engagée en pleine discussion avec le vénérable du temple, lançait des regards méfiants en direction de la nouvelle arrivante. Il s’agissait certainement de dissidents – comme aimaient les appeler les autorités daeyaméennes. Ils avaient dû fuir leur planète pour être libre de penser et de vivre comme ils le souhaitaient, et s’étaient retrouvés ici. Temporairement du moins. Le monastère et son vénérable faisaient en effet partie d’un réseau aidant ceux qui étaient recherchés par le Nocho à quitter Daeyama et à entamer une nouvelle vie dans la confédération d’Ambrosia.

Pour ne pas déranger, Ako attendit debout dans l’entrée du module. Le vénérable, qui l’avait aperçu, mit fin à son entrevue puis s’approcha d’elle. C’était lui qui l’avait accueillie cinq ans plus tôt, quand elle avait dû quitter Kyoghaï en toute hâte. Depuis, elle s’évertuait à aider le réseau autant qu’elle le pouvait.

- Ako… s’étonna le vénérable. Je ne m’attendais pas à te voir venir ici…
- J’ai à vous parler, déclara la ghostrunneuse sans montrer la moindre trace d’émotion. C’est important.

Le vénérable lança un regard qui pénétra l’âme de la jeune femme. Le vieil homme avait toujours eu cet effet-là sur elle et l’iris rouge de ses yeux n’y étaient pas étrangers. Outre le regard particulier qu’ils lui donnaient, ils étaient aussi – au même titre que les tatouages Ætheriques(1) visibles sur son cou – le signe qu’il s’agissait d’un psionic doué de capacités quasi-mystiques…

- Allons marcher un peu, fit-il après un moment de flottement.

Ako attendit que le vénérable ajuste son respirateur puis le suivit à l’extérieur du module-temple. Ils marchèrent quelques mètres et s’arrêtèrent près d’une série de petits monticules formés d’une multitude de pierres plates posées les unes sur les autres.

- Le réseau, commença Ako, il est en…
- Je sais, l’interrompit le vénérable avec calme. Je l’ai vu.
- Ah.
- Tes pensées sont sombres, Ako, continua-t-il sur le même ton. Ton avenir sent la mort et la trahison.
- Ce… ce n’est pas contre vous, se justifia-t-elle sans chercher à nier quoi que ce soit. Je ne vous trahirais jamais. C’est justement pour vous prévenir que je suis venue.
- Je sais, ne t’en fait pas. Mais ce n’est pas tout, n’est-ce pas ?

Ako n’était pas facilement impressionnable, mais chaque fois qu’elle croisait le vénérable elle se sentait étrangement mal à l’aise. Chacune de ses paroles visait juste et elle n’avait jamais vraiment su si c’était son expérience qui parlait où s’il utilisait ses capacités psychiques pour lire en elle. Ce doute l’avait toujours incitée à jouer franc-jeu avec lui. Et pourtant, il parvenait encore à lui donner cette désagréable impression d’avoir toujours un coup d’avance sur elle…

- C’est exact, fit-elle un peu honteuse. J’aimerais connaitre mon avenir. S’il vous plait.
- Je n’ai pas besoin de te rappeler que la prémonition n’est pas quelque chose d’immuable, déclara le vénérable après un moment de réflexion. Ni qu’elle peut conduire à prendre de mauvaises décisions si l’on y accorde trop d’importance…
- Je sais, répondit-elle en baissant la tête.

L’homme observa Ako sans un mot puis posa délicatement ses mains sur les tempes de la jeune femme. Il ferma les yeux et une lueur bleue commença à émaner des tatouages Ætheriques présent sur son cou. Le vénérable resta concentré près d’une minute avant de retirer ses mains du visage d’Ako.

- Es-tu vraiment sûre de vouloir savoir ? demanda-t-il, le regard triste.
- Oui, répondit Ako sans la moindre hésitation.
- Comme je te l’ai dit, cela reste flou, mais j’ai vu que tu allais être à l’origine d’une exécution… Puis que tu te suiciderais.

Troublée, Ako recula d’un pas.

- Je… je n’ai aucune intention de me suicider, affirma-t-elle avec une lueur d’incompréhension dans les yeux.





Réveillée par un mince jet d’eau froide, Azylis redressa doucement la tête de la table où elle s’était endormie. Elle avait des petits yeux, son cou lui faisait mal et elle était complètement dans le gaz.

- Mmh ? geignit-elle d’une petite voix.

La nuit avait été trop courte et la jeune spectre mit un moment avant de réaliser où elle se trouvait : la table qui lui faisait face ne lui disait rien, il y avait des bouteilles de naav vide posé dessus, Warren se tordait de rire un peu plus loin avec son fusil à eau à la main et… Zoé dormait assise à côté d’elle, la tête enfoncée entre ses bras !

Aaaah ! paniqua Azylis en commençant à émerger. Mais qu’est-ce que je fais là moi ?!

Un nouveau jet d’eau lui aspergea le visage avant qu’un tir supplémentaire n’atteigne Zoé. La punk se redressa d’un bond en fronçant les sourcils.

- Putain c’était quoi ça ?! s’exclama-t-elle.
- Elles ont passé la nuit ensemble-euh, elles sont amoureuse-euh ! chantonna un Warren hilare avant de déguerpir en vitesse.
- Wareeeen ! grogna Zoé en se lançant à sa poursuite sans avoir l’occasion de remarquer que les joues d’Azylis s’empourpraient.

La chaise de la punk bascula d’avant en arrière avant de finir par se stabiliser. Azylis était restée seule dans la cuisine et elle n’avait pas complètement assimilé ce qui venait de se passer.

- Euh…

Mettant sa gêne de côté, elle fouilla dans ses souvenirs et se remémora avoir passé une bonne partie de la soirée à jouer à des jeux holo avec Zoé et Warren. Plus tard, après que ce dernier fut allé se coucher, les deux spectres avaient essayé de mettre au point un plan intelligent pour leur contrat, mais, la fatigue et la naav aidant, elles avaient fini sur les coups de trois heures du matin, par élaborer les idées de plans les plus tordus possibles avant de sombrer peu à peu dans les bras de Morphée…

- Puisque tu es réveillée, déclara soudainement Nillee avec une pointe de reproche dans la voix, je tiens à te signaler que tu as loupé le dernier épisode de la famille Stewart hier soir.
Azylis haussa un sourcil. Certes, son IR s’adaptait à sa propre personnalité, mais quand même, Nillee était devenue sacrément accro aux drama ces derniers temps… Elle n’eut cependant pas le temps d’approfondir cette réflexion car Zoé était de retour, visiblement mécontente de ne pas avoir réussi à rattraper son frère.

- Fais pas attention à lui, déclara-t-elle nonchalamment en revenant s’assoir. Il dit de la merde pour se rendre intéressant…
- Ah… fit simplement Azylis qui ne savait pas trop quoi répondre d’autre.
- Bon, reprit Zoé. Si je résume on a toujours pas de plan… Bah, tant pis, on trouvera bien un truc en route…

Et à l’idée d’être sur le point de partir en mission, seule avec Zoé, Azylis sentit soudainement une boule d’appréhension se former au creux de son ventre.





Disparu sous l’horizon depuis plusieurs heures, le soleil Ambrosien ne réapparaitrait que dans trois jours standards au-dessus des dômes d’Eridania City. Lenny connaissait bien ce cycle, il avait vécu ici durant quelques années après tout…

Le spectre se rappelait encore de son arrivé : il venait de passer deux mois sur Yarenn en tant que guide à quatre ghostrunners éridaniens. A la fin de leur contrat, ceux-ci lui avaient proposé de rejoindre leur groupe. Sans attache et n’ayant rien à perdre, il avait accepté. C’était la première fois qu’il quittait sa planète et le changement avait été vraiment rude au début. Heureusement, Ako et les autres l’avaient mis à l’aise et l’avaient aidé à supporter les dômes, les journées sans soleil et tout le reste. Dunn – leur fixer – ne leur avait pas toujours confié des contrats dont il pouvait être fier, mais, là aussi, l’équipe avait su restée soudée. Ils avaient été une véritable famille pour lui…

Une famille, oui… Et aujourd’hui il ne restait plus qu’Ako et lui encore en vie… Lenny serra les dents en repensant au dernier contrat de son équipe et aux écœurants événements qui y étaient lié… Il avait bien essayé d’oublier et de raccrocher, mais Dunn… Ça ne lui avait pas suffi… Alors il avait fini par prendre les devants : il avait contacté un spectre et s’était arrangé pour que Dunn se retrouve en cryo.

Il n’avait pas revu Ako après ça. Voulait-elle le voir pour remettre les choses à plat ? C’était possible. Mais si c’était le cas, la discussion s’annonçait ennuyante. Lenny se remémora une nouvelle fois le message de la Daeyaméenne et soupira. La vérité, c’était qu’il appréhendait ce face à face depuis le jour où il avait arrêté Dunn avec Badman : il était maintenant du côté des spectres, plus des ghostrunners…

- Ah, ça me saoule ! ragea-t-il pour se vider la tête.

Les enseignes holographiques et les odeurs de fritures pimentées finirent par le ramener à la réalité. Il marchait, mains dans les poches, au milieu des immigrés daeyaméens, eurasiens, mais aussi yarennites qui constituaient l’essentiel de la faune du petit district de Buried Hopes. C’était là que terminaient ceux qui fuyaient leur planète ou qui avaient un jour espéré goûter au rêve éridanien. C’était là qu’il avait lui-même atterrit quelques années plus tôt.

A quelques mètres de lui un peu d’agitation l’empêcha de replonger dans ses pensées : un voleur à la tire qui tentait de s’échapper venait de tomber sur les gros bras du Daga(2) qui étaient de sortie… Le pauvre type était maintenant au sol en train de se faire saigner par les Eurasiens tandis que les passants restaient là à regarder. Lenny soupira de dépit et continua son chemin sans se retourner.

Shikata ga nai… songea-t-il cyniquement en repensant à Ako.

Il soupira à nouveau avant de s’engouffrer dans une ruelle mal éclairée où zonaient quelques jeunes. Il passa devant eux sans leur prêter la moindre attention et entra un peu plus loin dans un petit immeuble qui avait connu des jours meilleurs. L’ascenseur étant hors service, Lenny se dirigea vers la cage d’escalier où il dut enjamber un junky en plein trip virtuel. Il monta un étage et se retrouva face à la porte blindée de ce qui avait été sa planque à une époque pas si lointaine. Il demanda alors à son IR d’envoyer le code d’ouverture au réseau domotique de l’appartement et la porte se déverrouilla.

L’ancien ghostrunner entra, mains dans les poches. L’endroit était plongé dans la pénombre, mais la projection holographique d’une caméra surveillant l’entrée de l’immeuble attestait d’une occupation récente des lieux. Et c’est alors qu’il sentit le canon froid d’un pistolet cinétique se poser derrière son crâne, immédiatement suivi du bruit caractéristique d’une sécurité que l’on désengage.

- Tu m’as trahie, déclara froidement Ako.




(1) Tatouage Ætherique : Réseau de nano-condensateurs permettant, une fois activé, de dériver une partie du flux Ætherique émit par le corps humain vers les zones psi-sensitives du cerveau. Cela a pour conséquence de faciliter l'utilisation de capacités psi par les psionics doté d’une neuropuce de contrôle implantée.

(2) Daga : Pègre d’origine Eurasienne. Dans la confédération d’Ambrosia, le Daga est surtout présent dans les quartiers où il existe une communauté Eurasienne notable.