Wildcards - Contrefacons [Ep.2] - Partie 5 (texte)

Lenny ressentit une vague de chaleur lorsque la porte du four s’ouvrit pour avaler les trois sacs mortuaires. Debout dans le local technique du crématorium, il observait la scène, las. Il ne resterait bientôt plus que des cendres de Dunn et ses gardes du corps, mais Lenny savait pertinemment que ce n’était pas terminé.

Une main posée sur son flanc meurtri et l’autre tenant ce qui restait de la pile corticale de son ancien fixer, il soupira. La suite, il la connaissait dans les grandes lignes : remonter jusqu’à la cyber-clinique de Dunn et se débarrasser de lui une fois pour toute. Plus facile à dire qu’à faire…

- Tout est réglé, déclara Ako en rentrant dans le local technique. Le gérant s’occupe du reste, on peut y aller.

Lenny jeta un dernier regard sur la projection holographique affichée par le tableau de contrôle du crématorium. Les corps brûlaient dans le four à plus de 900°C, il était inutile de s’attarder ici plus longtemps. Il soupira une nouvelle fois puis rejoignit la Daeyaméenne sans se presser. Ses côtes lui faisaient mal lorsqu’il marchait.

- Tu es sûr que ça va aller ? demanda Ako.
- Ça ira, fit-il. J’ai juste besoin d’un peu de repos.

C’était faux, il le savait. D’un autre côté, il n’avait rien de grave et il ne voulait pas donner à Ako matière à s’inquiéter… ce qui ne fonctionna pas, elle le connaissait trop bien. La Daeyaméenne l’observait sans un mot, les yeux chargés de reproches.

- J’irais voir un doc avant de rentrer à Hell-point, promit-il pour la rassurer.
- Tu vas repartir ? demanda Ako.

Il n’y avait aucune trace d’émotion dans sa voix. Pourtant, ses épaules s’affaissèrent légèrement : derrière son apparente impassibilité, Lenny sentait sa déception.

- J’aurais plus de ressources à disposition, là-bas… se justifia-t-il en culpabilisant.
- Qu’est-ce que tu comptes faire exactement ? s’enquit Ako sur un ton toujours aussi neutre.
- Honnêtement, je n’en sais rien, avoua Lenny. Tant qu’ils ne seront pas certains de la mort de Dunn, ils ne prendront pas le risque de recharger une copie de son Ame dans un nouveau châssis. Ça laisse un peu de temps pour trouver un moyen de remonter jusqu’à sa clinique…

Prononçant ces mots, il soupesa la pile corticale qu’il avait en main. Il espérait que celle-ci puisse lui livrer quelques secrets. Dans le cas contraire, il faudrait trouver une autre piste.

- Tiens-moi au courant, déclara finalement Ako après un court silence. Je suis dans le même bateau que toi maintenant.
- Je suis désolé, s’excusa l’ancien ghostrunner.
- Pourquoi ? demanda Ako, sincèrement intriguée. C’est Dunn qui m’a impliquée. Et c’est moi qui ai choisi de te prévenir.

Lenny ne savait pas quoi répondre. Ils sortirent du crématorium par une porte de service et se retrouvèrent sur un parking mal éclairé. Dehors, la nuit éridanienne commençait à être vraiment froide – même sous les dômes – et des volutes brumeuses apparaissaient à chacune de leurs expirations.

- Peut-être que c’est l’occasion pour toi de quitter les ombres ? De changer de vie ? suggéra Lenny au bout d’un moment.
- Tu sais bien que je n’ai aucune existence officielle, soupira Ako en se frottant les bras pour se réchauffer. Je ne peux pas faire autrement. Mais toi… Tu pourrais rester avec moi. Ensemble on…
- Non, trancha-t-il avec amertume. Je ne peux plus vivre dans les ombres. Plus depuis le massacre.
- On y était pour rien, se défendit Ako, c’est Dunn qui…
- On était là… souffla Lenny. De toute façon, Dunn n’est pas un cas isolé… Les ombres fonctionnent comme ça. On y peut rien et tu le sais : Shikata ga nai comme tu dis…

Lenny savait ce que ça coutait à Ako de le laisser partir. Lui aussi n’aimait pas ça, mais il n’y avait pas d’autre choix. Malgré tout ce qu’il ressentait pour elle, retourner dans les ombres était au-dessus de ses forces. Et puis, même s’il aurait préféré mener une vie tranquille et sans histoire, il était spectre maintenant…

- Je comprends, abdiqua la Daeyaméenne au bout d’un moment. Shikata ga nai.





- Alors ? demanda Gaëlle. Comment ça s’est passé ?

Assise à califourchon, les bras croisés sur le dossier de sa chaise, Zoé venait de rejoindre la journaliste à une table du Cantina Bar. Une naav bien fraiche lui tendait les bras et la musique rock diffusée dans la salle donnait envie de bouger. La soirée s’annonçait plutôt cool.

- C’était épique, déclara-t-elle avec le sourire.
- J’imagine… grimaça Gaëlle. Il parait qu’Az s’est faite bêtement choper par les types que vous attendiez et que t’as dû aller la secourir…
- Attend, quoi ?! s’étonna Zoé.
- C’est mon contact qui me l’a dit, précisa la journaliste en prenant une gorgée de naav.
- Ah ouais ? Bah il dit de la merde ton contact, déclara Zoé. Az à réussit à infiltrer leur vaisseau et à les neutraliser toute seule. C’est elle qui a obtenu les coordonnées de l’usine et, quand on a donné l’assaut, elle a sauvé mon cul. Pour moi, elle a fait du putain de bon taff… Alors tu diras à ton pote d’aller se faire voir avec ses rumeurs à la con…
- Eh, calme-toi… tempera Gaëlle. C’est dingue ce que tu peux être susceptible dès qu'on parle d'Azylis… Moi aussi je l’aime bien tu sais. Mais avoue que jusque-là, elle a pas toujours été très douée.
- Ben moi je dis que c’est des conneries, grommela Zoé en buvant sa naav à la bouteille.

Susceptible… C’est avec ce mot en tête que Zoé quitta le Cantina Bar une heure plus tard. C’est vrai qu’elle appréciait la rouquine et que ça lui faisait de la peine de voir les autres se foutre de sa gueule – elle méritait pas ça – mais la punk n’avait pas non plus l’impression d’avoir réagi bizarrement. Elle n’avait fait que rétablir la vérité… Et puis, pourquoi est-ce que tout le monde semblait vouloir s’acharner sur elle aussi ?

Elle rentra dans son module-appartement la tête pleine de ces pensées. Là, elle trouva Warren qui revenait de la cuisine.

- T’en penses quoi de Az, toi ? demanda-t-elle à son frère de but en blanc.
- Mmh… Je l’aime bien, c’est une cible facile, répondit ce dernier avant de repartir dans sa chambre sans plus de formalité pour jouer avec son casque d’immersion.

Il a pas tort, estima Zoé. C’est peut-être juste ça… C’est une cible facile…

Zoé se laissa tomber sur son canapé en soupirant puis ferma les yeux. Elle ne comprenait pas pourquoi elle se prenait la tête. Elle voulait juste passer une bonne soirée pour décompresser à la base, pas rester seule comme une conne dans son salon à ruminer un truc sans importance…

Frustrée, la punk se releva au bout d’un moment puis sorti du module. Elle erra sans but précis dans les couloirs de la station jusqu’à tomber par hasard sur Azylis. La jeune spectre venait de faire ses courses et rentrait chez elle avec un paquet de nouille instantanée dans les mains. Un sourire espiègle éclaira le visage de Zoé et celle-ci s’approcha.

- Hey little bird, fit-elle l’air de rien.
- Oh, Zoé…
- Ça te dirait d’aller fêter notre prime autour d’un verre, sur Eridania ? proposa la punk.
- Quoi, m… maintenant ?! balbutia Azylis, surprise.
- Pourquoi pas ? répondit Zoé en gardant son air malicieux. Comme ça on pourra aller mater au strip-club juste après. T’inquiète, je déconne, précisa-t-elle avant de se dépêcher d’ajouter – au cas où – Enfin, sauf si ça te branche…
- Euh… OK, acquiesça la rouquine avec un grand sourire.

Au moins, songea la punk en s’éloignant avec Azylis, j’ai trouvé une complice pour mes virées nocturne.